
Bonne chance, Chantal Machabée! (Vous en aurez besoin)
Au sein de la communauté journalistique, cette nouvelle a eu l’effet d’une véritable bombe. Être responsable des relations publiques d’une entreprise est en quelque sorte l’antithèse du journalisme. Il est donc toujours surprenant de voir un confrère ou une consoeur passer de l’autre côté du miroir, et encore plus après plus de 30 ans de carrière.
Dans le monde du hockey, il y a toutefois eu des précédents heureux. Après une remarquable carrière journalistique, Bernard Brisset a occupé avec succès les fonctions de directeur des communications des Nordiques de Québec à la fin des années 1980. Il a aussi été vice-président aux communications du Canadien de 1992 à 2000.
Chantal Machabée se joint au Canadien forte d’un gigantesque capital de sympathie accumulé durant sa carrière de journaliste. Elle n’a aucun ennemi au sein de son ancienne confrérie. Et parce qu’elle a pratiqué le journalisme avec la jovialité qui la caractérise, elle n’a jamais été perçue comme une menace par les joueurs ou les entraîneurs qu’elle a côtoyés au cours de sa carrière.
Bref, la nouvelle vice-présidente aux communications du Canadien est une sorte de licorne.
Mercredi, un spécialiste des relations publiques me soulignait que la notoriété de Chantal Machabée surpasse celle de la plupart des dirigeants de l’organisation et même de certains joueurs de l’équipe.
C’est la première fois qu’une telle personnalité ou vedette est nommée à ce poste chez le Canadien
, soulignait-il. Et c’est tout à fait vrai.
Cela dit, il sera très intéressant de voir ce que Chantal Machabée pourra accomplir dans cette seconde carrière. L’image que j’ai en tête est celle d’un soldat qui s’immisce dans une zone de conflit avec une fleur au bout de son fusil.
Entendons-nous: sur le terrain, les relations entre les journalistes, les joueurs et les dirigeants sont cordiales et professionnelles dans plus de 99 % des cas. Sauf que ces trois groupes ont des intérêts qui s’opposent constamment. Au milieu de tout cela, les employés du département des communications sont payés pour faire de l’arbitrage en priorisant les intérêts de l’organisation qui les paie.
À compter de maintenant, Chantal Machabée devra donc s’habituer à créer du mécontentement autour d’elle. Elle devra refuser de 80 % à 90 % des demandes qui lui seront faites parce qu’il y en aura trop. Elle découvrira ses anciens confrères ou anciennes consoeurs sous un nouveau jour. Et, abasourdie, elle se rendra compte que certains d’entre eux sont franchement désagréables et se croient tout permis.
Du côté des joueurs, elle devra livrer des combats dont elle ne soupçonne probablement pas encore l’âpreté ou la futilité. Elle se fera fusiller du regard par des joueurs qui n’auront pas envie de rencontrer les journalistes après un match difficile ou durant une séquence d’insuccès. Et parfois, elle devra patiemment écouter les doléances d’enfants gâtés qui ne seront pas satisfaits des questions qui leur ont été posées.
À sa grande surprise, Chantal Machabée devra peut-être même à s’obstiner avec sa propre présidente pour diffuser de l’information somme toute anodine. Et qui sait, si certaines cascades d’événements font en sorte que le CH ait droit à de la mauvaise presse, la nouvelle vice-présidente aux communications se rendra peut-être compte, un jour, que ses supérieurs ne retournent plus ses appels et qu’elle a été affublée d’un injuste bonnet d’âne.
Bref, Chantal Machabée ne vient pas de décrocher un job de rêve. Ce n’est pas une mince tâche qui l’attend. Sans compter le fait que le Canadien de Montréal n’est pas l’endroit idéal pour apprendre à gérer des crises.
Alors que j’étais au beau milieu de la rédaction de cette chronique, j’ai reçu un courriel fort intéressant de la part d’un ancien journaliste qui a quitté le métier, il y a plusieurs années, pour devenir porte-parole de l’une des plus grandes villes québécoises.
Je vous ai entendu à la radio ce matin et vous avez exactement illustré ce que j’ai tenté d’expliquer à plusieurs personnes mercredi suite à la nomination de Chantal Machabée.
Moi-même, j’ai vite réalisé combien c’était difficile de passer de l’autre côté et d’être toujours pris entre l’arbre et l’écorce, entre mes patrons à la Ville et mes anciens amis journalistes. Je dis « anciens », car ça n’a pas pris beaucoup de temps avant que notre relation change. Je devais dire non à des demandes d’entrevues et je devais taire certaines informations, car je devais être loyal envers mon organisation. Cela faisait en sorte que j’étais bien souvent en relation de confrontation avec mes anciens amis
, expliquait-il.
Le département des communications du Canadien a été marqué par une grande stabilité entre 1992 et 2018. Puis soudainement, c’était comme si on avait installé des portes tournantes aux bureaux de Brossard et du Centre Bell.
Au cours des trois dernières années et demie, tour à tour, Donald Beauchamp (vice-président aux communications), Dominick Saillant (directeur des communications), François Marchand (adjoint au directeur des communications) et Paul Wilson (vice-président aux communications) ont soit quitté l’organisation parce que le climat de travail se corsait (dans le cas de Beauchamp), ou été congédiés.
Beaucoup de gens semblent oublier que lorsque Paul Wilson a succédé à Donald Beauchamp en 2018, on vivait une espèce de copier-coller de la situation actuelle.
Wilson, qui s’était forgé une réputation impeccable et qui menait une grande carrière dans le milieu des relations publiques, avait été présenté comme le nouveau champion de l’organisation. Geoff Molson annonçait fièrement une ère de transparence sans précédent et des communications plus efficaces.
Or, Wilson est vite passé dans le tordeur et on refait les mêmes promesses avec la nomination de Chantal Machabée.
Disons les choses comme elles sont. Dans la vie, ce n’est pas la queue qui remue le chien. Et ce n’est pas la personne qui s’occupe des relations publiques d’une entreprise qui détermine si ladite entreprise est accessible ou transparente. C’est une culture qui doit être instaurée et renforcée par ceux qui occupent le sommet de la pyramide.
Si Geoff Molson et France Margaret Bélanger se rendent compte qu’ils font partie de l’équation, Chantal Machabée se heurtera aux mêmes obstacles que ses prédécesseurs et elle ne changera pas grand-chose au sein du Canadien. Et ce malgré toute la sympathie dont elle jouit et malgré toute la bonne volonté qui l’anime.