
Le ministère de la Santé cite des sources douteuses pour justifier le couvre-feu
Dans un communiqué diffusé jeudi (Nouvelle fenêtre), le MSSS cite quatre études qui, selon lui, démontrent les effets et l’efficacité d’un couvre-feu
. La diffusion du communiqué suivait la conférence de presse annonçant le resserrement des restrictions sanitaires au Québec.
Lors de la conférence de presse, le premier ministre François Legault avait mentionné des indications
selon lesquelles le couvre-feu pourrait avoir un effet sur la situation épidémiologique. Il avait aussi invoqué une question de gros bon sens
, bien que le Québec soit actuellement le seul endroit en Amérique du Nord et l’un des rares endroits dans le monde à avoir recours à une telle mesure devant la montée généralisée du variant Omicron.
Le ne pas avoir lui-même mené d’étude sur l’effet de la mesure imposée au Québec de janvier à mai 2021.
MSSS avait auparavant admisUne fraude intellectuelle
Parmi les études citées jeudi par le
MSSS, deux ont été menées en France, une en Ontario, et une autre en Jordanie.Cette dernière a été publiée dans la revue Frontiers in Public Health, dont l’éditeur, Frontiers, est inclus dans la liste de Beall des revues et éditeurs potentiellement prédateurs (Nouvelle fenêtre), une référence dans le domaine.
Les éditeurs prédateurs prétendent publier des revues en accès libre de manière légitime, alors que leurs pratiques d’évaluation par les pairs sont douteuses et le contrôle de la qualité, inadéquat
, peut-on lire sur le site web des bibliothèques de l’Université de Montréal.
Ces revues et éditeurs prédateurs constituent une fraude intellectuelle de grande envergure et extrêmement grave
, selon le philosophe et essayiste Normand Baillargeon, connu pour ses écrits sur la pensée critique.
On se donne les apparences de la crédibilité
, poursuit-il en entrevue téléphonique, ce qui peut flouer le grand public et même certains chercheurs, mais c’est un processus qui équivaut à de la pseudoscience
.
Dans le cas de Frontiers, l’éditeur a été inclus dans la liste suivant des allégations de mauvaise conduite lors du processus d’évaluation par les pairs dans nombre de ses revues, indique le site web de la liste de Beall. Certains d’entre eux, par exemple, n’ont pas été retirés des comités de rédaction des revues Frontiers malgré leurs demandes.
Julien Simard, chercheur postdoctoral à l’École de travail social de l’Université McGill et Emma Jean, doctorante en sociologie à l’Université de Montréal, se disent alarmés que le MSSS puisse penser que cet article est crédible
.
L’auteur prétend établir l’efficacité du couvre-feu jordanien grâce à une comparaison internationale avec d’autres pays du monde arabe, mais il n’ajuste pas ses données pour qu’elles soient comparables, par exemple, et en tenant compte des capacités de dépistage qui diffèrent grandement selon les pays
, dénoncent-ils.
La méthodologie utilisée est très rudimentaire, à un point qui rend l’étude inutile
, poursuivent-ils dans un courriel après s’être penchés sur l’étude citée par le MSSS à la demande de Radio-Canada.
Questionné à ce sujet par courriel, le
MSSS n’avait pas répondu aux demandes de Radio-Canada concernant la fiabilité de l’étude au moment de publier ce texte.La pertinence des autres études remise en question
Julien Simard et Emma Jean ont eux-mêmes examiné l’impact du premier couvre-feu au Québec (Nouvelle fenêtre), concluant dans un billet – qui n’a pas été évalué par les pairs – qu’un effet clair de la mesure était introuvable
.
Les deux universitaires remettent aussi en question la méthodologie ou la pertinence des autres études citées par le
MSSS jeudi.En ce qui concerne l’étude ontarienne, elle souffre selon eux de plusieurs faiblesses méthodologiques, notamment en ce qui concerne la transparence des données et les postulats de base. De plus, et bien qu’elle date d’avril, elle n’a pas encore été publiée, ce qui indique que les auteurs ont peut-être des difficultés à la faire publier tout en nous montrant qu’elle n’a pas été révisée par la communauté scientifique
, poursuivent-ils.
Les deux études françaises, qui ont été révisées par les pairs, publiées dans des revues sérieuses et sont tout à fait crédibles
, de leur propre aveu, montrent bien une diminution du nombre de cas et du taux de reproduction (Rt) suivant l’instauration du couvre-feu. Or, ce que les deux chercheurs ont constaté au Québec lors du premier couvre-feu, c’est une baisse de ces variables avant même son imposition, et une absence d’effet après.
La réactivité du Rt par rapport au couvre-feu est pratiquement inexistante au Québec, elle semble réelle en France
, écrivent-ils.
Julien Simard et Emma Jean soulignent qu’il est difficile d’isoler l’effet d’une mesure comme un couvre-feu des comportements sociaux qui, eux, varient en fonction de plusieurs facteurs culturels, politiques, socioéconomiques et probablement aussi climatiques
, de sorte que les conclusions venues d’outre-mer seraient difficilement applicables au contexte québécois.