
Les abus sexuels dans le sport ont encore marqué la dernière année | Vous avez vu?
Le constat vient de Sylvain Croteau, directeur général de l’organisme sans but lucratif Sport’Aide, qui vise à offrir un milieu sportif sécuritaire aux jeunes du Québec. S’il y a eu des scandales d’inconduite sexuelle dans le sport amateur par le passé, en 2021, des cas d’envergure dans des organisations professionnelles ont fait la manchette.
Et l’imaginaire collectif en a été d’autant plus marqué, selon M. Croteau, parce qu’on a tendance à idéaliser
le sport professionnel.
On s’est aperçu que ça n’épargnait pas le sport professionnel, quand on pense à ce qui s’est passé dans la LNH, soutient-il. Je pense qu’il y a une prise de conscience, cette année, qui est importante dans l’ensemble de la communauté, du grand public, et de voir que ça n’arrive pas seulement dans le sport amateur, que ça touche malheureusement toutes les sphères de la communauté sportive.
C’est en mai 2021 que deux joueurs ont accusé l’ancien entraîneur adjoint des Blackhawks de Chicago Brad Aldrich d’agression sexuelle. Une deuxième poursuite a été déposée quelques jours plus tard par un ancien joueur d’une école secondaire du Michigan où Aldrich aurait fait d’autres victimes. L’ancien entraîneur était d’ailleurs reconnu comme délinquant sexuel dans cet État après qu’il eut plaidé coupable à une accusation d’abus sexuel sur un mineur en 2013.
En octobre dernier, les conclusions d’une enquête indépendante sur les faits allégués dans la première poursuite, qui remontent à 2010, ont indiqué que l’état-major des Blackhawks n’avait pas réagi convenablement ni promptement à la situation. C’est là un thème souvent observé au fil de l’année. On y reviendra.
Au lendemain de la publication du rapport d’enquête, Kyle Beach, qui s’entraînait avec les Blackhawks en 2010 après l’élimination de leur club-école dans la Ligue américaine, a révélé être l’une des deux victimes anonymes d’Aldrich.
En entrevue à TSN, Beach a notamment confié que le fait que d’anciens coéquipiers avaient appuyé sa version des faits lui avait donné le courage nécessaire pour continuer
.
Avec justesse, Sylvain Croteau souligne qu’il y a 10, 15 ou 20 ans, on ne voyait pas de tels témoignages. Quelque 11 ans après les faits allégués, l’ancien joueur des Blackhawks Brent Sopel a soutenu que presque tous
ses coéquipiers étaient au courant des comportements présumés d’Aldrich.
Tout était glissé sous le tapis, on tournait la tête, on faisait comme si rien ne s’était passé, rappelle M. Croteau. Là, on s’aperçoit qu’une fenêtre est ouverte. Oui, on peut en parler. Les gens réalisent qu’ils peuvent et doivent en parler.
C’est un message qu’on a constamment quand on rencontre des groupes, poursuit-il. On n’aurait jamais dû se taire. Aujourd’hui, il y a des ressources et des services qui existent ici et à certains autres endroits et qui font en sorte que si tu vis quelque chose ou si tu es témoin de quelque chose, tu ne peux pas, sous aucune considération, fermer les yeux.
Des actions concrètes et nécessaires
De la même manière, dans le soccer professionnel américain, le voile s’est levé sur des comportements allégués qui remontent à la dernière décennie.
Une enquête du site The Athletic sur des allégations d’inconduite sexuelle envers l’entraîneur du Courage de la Caroline du Nord, Paul Riley, a mené à son congédiement en septembre. Deux de ses anciennes joueuses, Sinead Farrelly et Mana Shim, ont témoigné à visage découvert de coercition sexuelle et d’autres comportements inappropriés de la part de Riley. Des comportements qui avaient déjà été signalés aux autorités du soccer américain.
La commissaire de la ligue, Lisa Baird, a démissionné dans la foulée. Quatre autres entraîneurs de la NWSL ont quitté ou ont perdu leur poste cette saison après des allégations ou, dans le cas de l’entraîneur de Louisville Christy Holly, pour des motifs valables
, sans plus de précisions. Dans au moins deux cas, on avait d’abord camouflé les raisons du départ de l’entraîneur avant que les circonstances fassent en sorte que la vérité soit révélée.
Ces situations génèrent une authentique tristesse, mais elles permettent également de constater une véritable volonté de transformer le milieu sportif, convient Sylvain Croteau. Comme de fait, la NWSL est en pleine métamorphose. Les critères et les processus d’embauche d’entraîneurs ont été revus. Les athlètes sont consultées.
Les mesures prises dans la NWSL et ailleurs demeurent relativement récentes. Il est encore tôt pour juger de leur efficacité, selon Sylvain Croteau, qui dit cependant avoir confiance qu’un changement s’opère.
Assurons-nous qu’au-delà des grands mots et des belles phrases, la volonté soit soutenue par des actions concrètes. Je pense à de l’éducation, précise M. Croteau. C’est une marotte, à Sport’Aide, de parler d’éducation, mais tout passe par l’éducation, l’accompagnement qu’on donne aux organisations sportives, et ça passe aussi par la collaboration. Il faut travailler ensemble, avec les organisations, pour les organisations.
Comme l’a rappelé la nouvelle entraîneuse des Thorns de Portland, Rhian Wilkinson, les comportements allégués sont partout, et il faut faire le ménage
. Si le scandale dans la NWSL demeure le plus frais dans nos mémoires, il n’a même pas été le seul dans le milieu du soccer.
Dans la foulée des allégations visant Paul Riley, des joueuses de la Colombie et de l’Australie ont aussi parlé de leurs histoires d’abus et de harcèlement dans leurs équipes nationales.
C’est aussi en 2021 qu’un rapport a été produit sur un vaste scandale d’abus sexuels en Grande-Bretagne. Ses conclusions étaient dévastatrices : des dizaines d’entraîneurs impliqués, des centaines de victimes dans des dizaines de clubs, dont certains parmi les plus importants en Angleterre, et un système propice à de tels abus.
C’est cette année également qu’aurait dû comparaître l’ex-entraîneur de l’équipe féminine des Whitecaps de Vancouver et de l’équipe féminine canadienne Bob Birarda, arrêté à la fin de 2020 et accusé d’exploitation sexuelle, d’agression sexuelle et de leurre d’enfants. Mais sa date de comparution a été remise une dizaine de fois.
Les victimes d’inconduite sexuelle subissent encore ces actes longtemps après qu’ils ont eu lieu. L’histoire de l’ancien médecin Larry Nassar, condamné en 2017 et en 2018 pour des agressions sexuelles sur des centaines de gymnastes américaines, n’a peut-être connu sa conclusion que ce mois-ci, quand un tribunal a accordé aux victimes des indemnisations de quelque 380 millions de dollars.
Ces cas fort médiatisés s’ajoutent à ceux vécus dans l’ombre. Et encore, on parle ici uniquement des problématiques à caractère sexuel. L’année 2021 a été marquée par des histoires d’abus d’autres formes dans le sport, ou carrément par des situations où la santé mentale des athlètes était éprouvée sans qu’une forme d’abus en soit responsable.
Peu importe, Sylvain Croteau insiste pour dire qu’il est crucial de demander de l’aide.
Ce n’est pas réducteur, demander de l’aide, assure-t-il. Les services sont là. Ce n’est pas un hasard. Utilisons-les quand on vit quelque chose.