
Les migrations d’espèces de poissons présentent une menace de conflits entre pays
Sur le quai des pêcheurs de Steveston, dans le Grand Vancouver, un endroit très couru, Judy Nguyen est aux premières loges pour constater les contrecoups des changements climatiques.
Depuis plus de 30 ans, la pêche est son métier. Une passion qui se transmet de génération en génération dans sa famille, mais qui a considérablement changé ces dernières années.
À cause de la diminution des stocks de saumons et de poissons, on nous donne de moins en moins de quotas. Un de mes bateaux, le Judy, reste à quai, car je ne pêche plus rien ici
, déplore-t-elle.
La migration des espèces de poissons vers les pôles oblige sa famille à se rendre jusqu’à Prince Rupert, dans le nord de la Colombie-Britannique, pour pêcher des crevettes.
C’est notre seule source de revenus. Mais c’est un voyage de 10 jours au total pour y aller et revenir. Et mes parents sont de plus en plus vieux, c’est difficile.
« Il y a 30 ans, nous faisions des prises de poissons frais quotidiennement. Aujourd’hui, c’est une tout autre réalité avec le réchauffement climatique. »
Migration d’espèces, un phénomène planétaire
Une étude menée par des chercheurs de l’Université de la Colombie-Britannique (UBC) (Nouvelle fenêtre) (en anglais) montre que, d’ici la fin du siècle, près de la moitié des stocks mondiaux de poissons qui partagent plusieurs zones économiques de pêches auront migré.
Leur modélisation montre même que, d’ici 2030, 78 % des zones économiques exclusives (ZEE) du monde connaîtront au moins une nouvelle espèce transfrontalière.
Avec de telles prévisions, le risque de conflits transfrontaliers est à prévoir, selon les auteurs de l’étude.
Le Canada met en place des quotas pour une certaine espèce en fonction de ce qu’il a connu au cours des dernières décennies. Les États-Unis mettent des quotas pour d’autres espèces. Mais si on a une espèce qui se déplace, tout est chamboulé, et tous les traités sont à revoir
, explique Gabriel Reygondeau, coauteur de l’étude et associé de recherche à l’ UBC.
Le scientifique prend notamment l’exemple du saumon du Pacifique pêché en Colombie-Britannique.
Le saumon va migrer vers l’Alaska, et il faudra donc renégocier nos traités avec les États-Unis. C’est la même chose pour les espèces de l’Oregon ou de la Californie qui vont migrer au Canada.
La nécessité de réformes profondes
Quels seront les droits de pêche de chacun? Un pays pourra-t-il toujours pêcher un poisson qui se trouvait depuis toujours dans ses eaux, mais qui a désormais migré plus au nord dans un pays voisin?
Face à ces questions qui demeurent toujours sans réponse, les auteurs de l’étude de l’
UBC appellent les gouvernements à anticiper ces migrations et à revoir tous leurs accords et traités de pêches existants pour éviter des conflits avec d’autres pays.De nombreux accords de pêche ont été conclus durant les dernières décennies, mais les règles s’appliquent aujourd’hui à une réalité qui n’est plus la même
, souligne Juliano Palacios-Abrantes, de l’Institut pour les océans et les pêcheries de l’Université de la Colombie-Britannique.
« L’idée, maintenant, c’est d’inclure clairement le réchauffement climatique dans les négociations entre pays. »
Pêches et Océans Canada affirme de son côté mener des activités de recherche scientifique et de surveillance
, pour évaluer les conséquences des changements climatiques sur les océans et leurs écosystèmes.
En ce qui a trait aux relations et à la possibilité de tensions avec des pays pêcheurs, le Ministère dit collaborer étroitement avec les ministères d’autres pays côtiers dans le monde afin de régler les questions de surpêche et de gouvernance internationale des pêches et des océans
.
Parmi ces pays ou régions figurent l’Australie, l’Union européenne, le Royaume-Uni, la Norvège, la Russie ou encore les États-Unis.
« Les efforts diplomatiques ont permis au Canada de conclure des ententes et des accords officiels et non officiels portant sur les pêches, les océans et des questions scientifiques avec plusieurs États. »
De retour sur le quai de Stevenson, dans le Grand Vancouver, Judith Nguyen s’en remet aux différents gouvernements, vu qu’elle ne peut pas changer les choses à son échelle.
En ce qui a trait à l’accélération du réchauffement climatique, elle déplore que, autour d’elle, le paysage ait bien changé et que le tableau risque de se noircir davantage.
Devant une ressource en mouvance, l’avenir des pêcheurs est incertain, selon elle.
On n’est plus que quelques-uns, beaucoup ont abandonné, dit-elle en pointant du doigt le quai.