L’indescriptible année 2021 du Canadien | Vous avez vu?
Et pourtant. Le Canadien conclut probablement l’année la plus étrange de ses 112 ans d’histoire. Une année où il a alterné grandes et miséreuses performances. D’un mois à l’autre, d’une semaine à l’autre, littéralement.
Une année, 2021 donc, qui a permis au Tricolore de faire vibrer ses partisans avec une première finale de la Coupe Stanley en 28 ans. Un point d’orgue rassembleur qui a semblé redonner une joie de vivre à Montréal, la ville émergeant alors tout juste de ce long hiver pandémique qui a usé jusqu’aux plus coriaces d’entre nous.
Un point d’orgue si vite soufflé par tout un tas de controverses, de révélations personnelles de ses joueurs, d’erreurs stratégiques, de fiascos de relations publiques et, surtout, par le pire début de saison de l’histoire de l’équipe ces derniers mois. Le CH a réinventé des façons de se saboter.
L’équipe a laissé filer son centre le plus utilisé des séries éliminatoires. Au repêchage, elle a sélectionné un jeune homme qui avait commis un délit sexuel et demandait à ne pas être choisi. Elle a appris la retraite forcée de son capitaine. Son gardien vedette a bien failli faire ses valises pour Seattle…
Le résumé d’une année complète? Non, de deux semaines en juillet.
Ne boudons pas notre plaisir. Les 12 derniers mois ont été si chargés qu’il vaut la peine de s’y replonger étape par étape. De se remémorer les bons moments (épars) et les plus pénibles (nombreux).
Mieux vaut y aller chronologiquement afin de ne pas en perdre notre latin. Cette annus horribilis – vous voyez bien qu’on ne l’a pas perdu – s’achève, miséricordieuse, pour le Bleu-blanc-rouge qui occupe les bas-fonds du classement général de la ligue et se dirige tout droit vers une exclusion des séries éliminatoires.
À moins d’un scénario aussi invraisemblable que spectaculaire, les joueurs devront les regarder dans leur fauteuil Louis XIV, au coin du feu, en se rappelant qu’il y a moins d’un an, le monde du hockey avait les yeux tournés vers eux. Brandy à la main et robe de chambre en satin, ils se demanderont comment ils en sont arrivés là.
Et nous aussi d’ailleurs.
Janvier
Il fait froid au Québec. Le couvre-feu entre en vigueur. L’hiver sera long. Mais il y a un brin d’espoir : le Canadien.
Marc Bergevin avait annoncé ses couleurs dès le camp d’entraînement. Les attentes du patron sont élevées, l’équipe y répond d’emblée.
Étirons le mois jusqu’au 2 février – c’est notre texte, on fait ce qu’on veut – pour ainsi retrouver le Tricolore au sommet du classement général de la LNH. Pas de blague.
Après 10 rencontres, il présente une fiche de 7-1-2. Il compte sur la meilleure attaque de la ligue et enfile en moyenne 4,4 buts par match. Tyler Toffoli, toute nouvelle acquisition, totalise déjà neuf buts et trône tout en haut à ce chapitre, devant Connor McDavid. Chez les autres petits nouveaux, Josh Anderson tourne à pleine vapeur et Jake Allen fait le travail derrière Carey Price.
Au terme de cette victoire de 5-3 contre les Canucks le soir du 2 février, un reporter de Radio-Canada, qui requiert l’anonymat, écrit ceci :
Après 10 rencontres, absolument tout ce qu’a touché Midas Bergevin – Marc, pardon – s’est transformé en or. Aucun faux pas. C’est un petit échantillon, certes, mais fort prometteur.
Oups.
La division canadienne a faussé les données. Les cinq matchs contre les Canucks, et les huit buts de Toffoli contre son ancienne équipe, aussi.
Avec deux jours de retard, entrent alors en scène les nuages de février.
Février
Rappelons-le, le Canadien était premier de la ligue après 10 matchs. Huit rencontres plus tard, avec un dossier de 9-5-4, Marc Bergevin congédie son entraîneur-chef, Claude Julien, et l’entraîneur adjoint Kirk Muller.
Le directeur général avoue avoir vu une équipe un peu perdue
. Il veut virer le bateau de bord
. Certaines tendances inquiétantes ont refait surface, juge-t-il.
Cette division canadienne est une occasion unique pour le CH de faire un bon bout de chemin dans les séries éliminatoires. Bergevin le sait et ne veut pas manquer son coup.
Ironiquement, Julien perd son emploi au lendemain d’une défaite de 5-4 en fusillade face aux Sénateurs d’Ottawa. Dans les tout derniers instants de la troisième période de ce match, Brendan Gallagher marque un but, en apparence légal, qui lui est refusé. Qui sait ce qui se serait produit si le Tricolore avait remporté ce match.
Mais laissons l’uchronie. Dominique Ducharme remplace Julien dans un rôle intérimaire. Il perd ses deux premiers matchs à Winnipeg.
En 25 jours, la Sainte-Flanelle a chuté du 1er au 15e rang du circuit Bettman. Nous sommes le 28 février et rien ne va plus.
Mars
Après un congédiement d’entraîneur, on se serait attendu à une accalmie. Que nenni! Moins d’une semaine après tout ce remue-ménage, et après avoir défendu les autres entraîneurs restés en poste, Bergevin met à la porte Stéphane Waite le 2 mars, entraîneur des gardiens et grand complice de Price depuis huit ans et demi.
On annoncera d’abord la nouvelle à Waite entre les deuxième et troisième périodes du match contre les Sénateurs, ensuite aux journalistes après les disponibilités avec les médias, tout ça le soir où Ducharme fête sa première victoire dans la LNH. Sean Burke prend la relève.
S’en suit alors une séquence où le Tricolore alterne les victoires et les défaites chaque rencontre. Puis, le 22 mars, à deux heures d’affronter les Oilers d’Edmonton au Centre Bell, l’on apprend qu’il n’y aura pas de rencontre parce que deux joueurs montréalais se retrouvent sur la liste de la COVID-19 de la LNH.
Joel Armia, positif, et Jesperi Kotkaniemi, sujet à risque pour avoir fréquenté de près son compatriote, forcent l’arrêt des activités pendant 10 jours.
Une tuile de plus sur la tête de l’équipe qui tentait de prendre son envol. Le Canadien devra disputer les 25 derniers matchs de sa saison en 44 jours. Un rythme infernal.
Du menu fretin en comparaison de ce qui l’attend.
Avril
Mois plus tranquille, c’est le temps de respirer.
Sur la glace, l’équipe, inepte, n’arrive pas à coller deux victoires.
Gallagher se fracture le pouce le 5 avril et rate le reste de la saison. Price subit deux blessures en peu de temps, la première, au bas du corps, le tenant à l’écart pendant six matchs, la deuxième, une commotion survenue le 19, mettant aussi un terme à sa campagne.
Le 23 avril, Jonathan Drouin quitte l’échauffement des siens quelques minutes avant d’affronter les Flames de Calgary. Ducharme dit qu’il est malade. Quelques jours plus tard, le Canadien annonce que le Québécois sera à l’écart de l’équipe pour des raisons personnelles jusqu’à nouvel ordre. On ne le verra plus avant le camp d’entraînement suivant.
Mai
Le Tricolore conclut la saison sur une séquence de cinq défaites afin d’être bien motivé à l’aube des séries.
Montréal termine l’année au 18e rang du classement général, se qualifie de justesse pour le grand tournoi et y entre avec la pire fiche des 16 équipes en lice en ayant remporté seulement 24 de ses 56 matchs, soit un taux de victoire de ,429.
Le CH amorce son parcours contre les champions de la Division nord, les Maple Leafs de Toronto. Après une prestation (et une victoire) inspirée au premier match, il se fait dominer 11-2 aux buts dans les trois matchs suivants et se retrouve au bord du gouffre.
Soufflant dans toutes les directions, le vent apporte alors des murmures de fin de règne, autant pour le DG que pour l’entraîneur-chef intérimaire.
Deux événements renversent la vapeur : Corey Perry, Shea Weber et Eric Staal prennent la parole avant le cinquième match pour rappeler au groupe l’importance de saisir le moment et Ducharme fait confiance à Erik Gustafsson à la place de Brett Kulak. À vous de déterminer lequel aura eu le plus d’impact.
Toujours est-il que le Canadien enregistre ensuite deux gains en prolongation grâce à ses jeunes centres – Nick Suzuki et Kotkaniemi inscrivent les buts gagnants – et humilie et élimine les Torontois, le 31 mai, dans leur domicile lors du match ultime.
Cette saison cauchemardesque prend soudainement une tout autre tournure. Et Phillip Danault mange de la pizza.
Juin
Le plus beau mois de l’année.
Le CH balaie les Jets sans cérémonie au deuxième tour pour atteindre son premier carré d’as en sept ans, le troisième depuis 2010.
Contre Vegas, en demi-finales, Cole Caufield a le dessus sur Robin Lehner, qui disait pourtant savoir comment le contrer puisque le jeune homme était un peu trop prévisible. Il inscrit quatre buts en six matchs.
Marc-André Fleury redonne vie au Canadien lors du troisième duel. Les Golden Knights sont à 1 min 55 s de prendre l’avance 2-1 dans la série quand le gardien québécois commet une bourde dont profite Anderson. L’Ontarien enfilera également le but victorieux en prolongation, le tournant de cette série.
Artturi Lehkonen, une fois n’est pas coutume, mettra la touche finale à cette apothéose avec le but vainqueur au début de la prolongation du sixième match qui envoie le Tricolore en finale pour la première fois depuis 1993. Et Phillip Danault mange de la pizza.
Juillet
Le Tricolore trouve chaussure à son pied en finale de la Coupe Stanley. À bout de ressources, surclassé, il s’incline assez sèchement, en cinq rencontres, devant un adversaire tout simplement trop fort pour lui.
Le Lightning célèbre sa deuxième conquête d’affilée, sur sa patinoire, le 7 juillet, pendant que le capitaine Shea Weber verse une larme. Pendant que le gardien Carey Price a le regard vide. L’on comprendra plus tard pourquoi.
Le téléroman ne fait que commencer.
D’abord, le 17 juillet, l’équipe annonce sa liste de protection en vue du repêchage d’expansion du Kraken de Seattle. Carey Price ne s’y trouve pas. La vedette du CH a donc accepté de lever sa clause de non-mouvement et pourrait quitter Montréal sans aucune forme de compensation pour son équipe.
Le 21 juillet, soupir de soulagement : le Kraken sélectionne Cale Fleury. Vingt-quatre heures plus tard, c’est la consternation. Bergevin annonce que Shea Weber ne jouera pas en 2021-2022 et que sa carrière est compromise.
Le lendemain, lors du premier tour du repêchage, il opte pour Logan Mailloux, un joueur trouvé coupable d’un crime sexuel en Suède qui avait demandé aux équipes de la LNH de ne pas le sélectionner.
La controverse est instantanée et prend de l’ampleur au fil des jours et du silence du propriétaire de l’équipe, Geoff Molson. Des commanditaires remettent en question leur association avec le Bleu-blanc-rouge. Justin Trudeau exprime son malaise par rapport à cette décision. Bergevin et son gourou du repêchage, Trevor Timmins, paraissent bien mal lorsqu’ils tentent d’expliquer leur sélection.
L’organisation laisse le feu devenir un brasier. Molson rencontrera finalement les médias cinq jours plus tard, le 28 juillet. Dans une décision sans précédent, le Canadien choisit les journalistes qui pourront assister à ce rendez-vous virtuel.
Le même jour, Phillip Danault, attaquant le plus utilisé dans les séries, quitte sa terre natale et met le cap sur la Californie où il s’entend avec les Kings.
En six jours, le Tricolore perd son capitaine, son premier centre et se met la province à dos en raison d’une décision, encore à ce jour, difficile à défendre.
Grosse semaine au bureau.
Août
Le mois d’août se déroule paisiblement jusqu’à ce que les Hurricanes de la Caroline viennent sauver ce palmarès de l’horreur.
Dans un geste de vengeance à peine voilé envers le CH qui avait tenté de s’emparer de Sebastian Aho deux ans plus tôt, les Hurricanes présentent une offre hostile de 6,1 millions de dollars pour un an à Kotkaniemi. Le Finlandais a tôt fait de la signer. Le Canadien a une semaine pour égaler l’offre. Suspense.
Septembre
Le 4 septembre, le Tricolore laisse filer Kotkaniemi, son premier choix, et troisième au total, de l’encan 2018. Un aveu d’échec de Bergevin qui, un an plus tôt, vantait les prouesses de son jeune centre et le voyait comme une pierre angulaire de la réinitialisation de son équipe.
Le même jour, pour pallier la perte de Phillip Danault, dit-il, il met la main sur Christian Dvorak en provenance des Coyotes de l’Arizona.
Le 20 septembre, en entrevue à RDS et à TVA Sports, Jonathan Drouin revient sur sa longue absence. Le Québécois raconte souffrir de troubles anxieux et d’insomnie. Il aura droit à une vague de sympathie de la grande majorité des amateurs. Ses aveux ramènent la question de la santé mentale dans le sport professionnel particulièrement, et dans la société en général, au-devant de la scène.
Libéré de ses problèmes, assure-t-il, Drouin se présente au camp d’entraînement en grande forme. Un rare rayon de soleil autour de l’équipe.
Octobre
Le Canadien connaît un camp d’entraînement misérable. De mauvais auspices à quelques jours du début de la saison. Molson et Bergevin conviennent de ne pas discuter de l’avenir du directeur général, qui écoule la dernière année de son contrat, avant la fin de la saison. Une décision des plus inusitées qui deviendra, au fil des semaines et des défaites, une source de distractions autour de l’équipe.
Soudainement, le 7 octobre, tremblement de terre.
Carey Price, opéré au genou durant l’été et absent pendant le camp, intègre volontairement le programme d’aide de la Ligue nationale. Sa femme, Angela, publie un message sur son compte Instagram expliquant que son époux avait pris cette décision afin de placer sa santé mentale en premier
. Encore une fois, vague de soutien pour le célèbre gardien. Bergevin estime que Price risque d’être absent 30 jours, soit le séjour le plus court au sein du programme d’aide. Une certitude qui fait sourciller.
Sur la glace, le Canadien connaît son pire départ depuis la saison 1941-1942. Joel Edmundson est blessé. Le nouveau venu Mike Hoffman manque aussi quelques matchs. L’infirmerie se remplit : Mathieu Perreault, Cédric Paquette et de nombreux autres devront sauter leur tour. L’équipe revient de son voyage dans l’Ouest avec une fiche de 2-8-0.
Entre-temps, à son corps défendant, Drouin révèle tout haut ce dont tout le monde se doutait tout bas : Shea Weber est à la retraite. Une affirmation aussitôt contredite par la direction. L’auteur de ces lignes était présent le jour de cette révélation
à Seattle. L’équipe de relations publiques s’activait fort en coulisses…
Novembre
Price sort bel et bien du programme d’aide après 30 jours. Sur son compte Instagram, le gardien révèle avoir des problèmes de consommation depuis plusieurs années, sans en préciser la ou les substances.
Il affirme s’être laissé sombrer dans un état de noirceur
et vouloir rétablir [sa] santé mentale après plusieurs années à la négliger
.
Ducharme annonce alors un plan en quatre étapes pour assurer au gardien un retour progressif. À la fin du mois de novembre, Price n’est toujours pas apparu sur une patinoire de la LNH.
Ah oui! Sur la glace, les blessures s’accumulent, le Canadien s’enlise et se place hors de la course aux séries éliminatoires avant même la fin du mois.
Pendant que le Canadien s’empêtre, l’avenir de Bergevin devient de plus en plus sombre. Le 27 novembre, les premiers signaux de fumée de la fin du règne du Québécois à la tête de l’équipe apparaissent : Scott Mellanby, son adjoint, démissionne.
La nouvelle force la main au Tricolore. Le lendemain, un dimanche, le CH coupe la tête de sa direction hockey. L’équipe congédie Bergevin ainsi que son fidèle lieutenant, le responsable du recrutement Trevor Timmins, et annonce du même souffle avoir embauché Jeff Gorton comme vice-président aux opérations hockey.
Gorton, un Américain et unilingue anglophone, travaillera de concert avec le futur directeur général, qui lui devra être bilingue. Le processus de sélection s’enclenche. Le futur DG sera nommé en 2022.
Le partage des tâches entre les deux hommes demeure à ce jour nébuleux.
Décembre
Cette fois, le Canadien fait son effort pour se tenir à carreau. Après avoir congédié tout le monde, être passé par toutes les émotions et avoir vécu une pléthore de rebondissements en onze mois, que pourrait-il bien arriver, n’est-ce pas?
La pandémie se chargera des mauvaises nouvelles en décembre. La montée fulgurante des cas de COVID-19 et l’émergence du variant Omicron sème l’inquiétude aux quatre coins de la ligue (et de la planète).
Le 16 décembre, deux heures avant d’affronter les Flyers de Philadelphie, le Santé publique du Québec demande au Canadien de ne pas laisser entrer les partisans pour assister au match. La rencontre aura lieu à huis clos. Ce sera le premier domino à tomber.
Le lendemain, on annonce que le duel contre les Bruins de Boston prévu le 18 est reporté à une date ultérieure.
Deux jours plus tard, le CH annule son voyage de trois matchs dans la région new-yorkaise juste avant Noël.
Le 20 décembre, la LNH décrète une pause complète des activités du 22 au 27.
Le 22 décembre, la ligue et l’association des joueurs décident conjointement de se retirer des Jeux olympiques de Pékin.
Bref, une chape de plomb tombe sur la LNH, et accessoirement sur le Canadien, en toute fin d’année. Au moment où nombreux croyaient que ça ne pouvait pas être pire.
Souhaitons au CH (et à nous tous) un peu plus de tranquillité et de sérénité en 2022.