
Loi sur la protection sociale d’Opitciwan : le long portage des Atikamekw
Adoptée selon les paramètres de la loi fédérale C-92, elle vise à réduire le nombre d’enfants et de jeunes Autochtones pris en charge en dehors de la famille élargie, de la communauté ou de la nation en préservant les liens d’origine avec leur culture et leur langue. C’est la première fois que cette loi sera appliquée au Québec.
Elle permettra également à la communauté atikamekw de placer ses enfants sous sa propre autorité de protection de l’enfance tout en réduisant aussi et significativement le nombre d’enfants et de jeunes Autochtones d’Opitciwan actuellement pris en charge par la Loi sur la protection de la jeunesse du Québec.
Un travail de longue date
Dans les deux autres communautés atikamekw, soit Wemotaci et Manawan, c’est le système d’intervention d’autorité atikamekw (SIAA) qui prévaut, selon l’article 37.5 de la Loi sur la protection de la jeunesse (LPJ) du Québec, explique Eva Ottawa, ex-grande cheffe de la nation atikamekw, universitaire et juriste spécialisée en tradition juridique autochtone.
Au Québec, c’est à partir de 1990, soit il y a plus 30 ans, que les Autochtones ont commencé à collaborer et à s’impliquer avec le gouvernement pour ajuster la Loi sur la protection de la jeunesse (LPJ).
Malgré cette collaboration, la nation continuait de perdre ses enfants et les réalités sociales et culturelles des Atikamekw étaient ignorées.
Il faut toujours tenir compte du principe de dévotion aux aînés pour l’harmonie des communautés
, affirme Eva Ottawa.
Pour les aînés, les enfants sont au cœur de l’identité atikamekw. C’est leur résonance avec le territoire, dit-elle.
« Ils nous ont expliqué que le territoire faisait partie de notre identité, qu’il fallait le protéger pour nos futures générations, et protéger nos enfants: « C’est à votre tour maintenant de trouver une manière de protéger le territoire et nos enfants ». »
La
LPSAO qui entrera en vigueur lundi permet donc de corriger une situation historique de dépossession des enfants et de prendre la responsabilité de la protection de l’enfance à Opitciwan.Quant au
SIAA issu de l’article 37.5 de la Loi de la protection de la jeunesse du Québec (LPJ), qui s’applique aux enfants des deux autres communautés atikamekw, il constitue le fruit d’un travail de longue haleine et qui en vigueur sur le territoire atikamekw depuis 1997.Les Atikamekw ont été les premiers au Québec à mettre en place un tel système et à s’affranchir de la mainmise de Québec sur la question de l’enfance.
« C’est comme si on n’avait pas été capable de travailler par nous-mêmes. Le comité créé pour penser une avenue d’autonomie a été réalisé à travers un processus de contrôle total. »
La LPJ, une loi qui impose des règles, pas des valeurs
La
LPJ ne propose aucune participation des grands-parents. Cela était impensable pour les membres des communautés atikamekw et pour le Conseil de la Nation Atikamekw, précise-t-elle.Eva Ottawa a toujours souhaité que tous et chacun, dont elle-même, saisisse les traités et les ententes tel que souhaité par les aînés afin de protéger le territoire, l’identité et les enfants.
« M’asseoir avec les aînés et dégager nos traditions juridiques étaient importants pour moi. »
Eva Ottawa avait 13 ans lorsqu’elle a quitté sa communauté Atikamekw de Manawan puisqu’à l’époque, il n’y avait pas d’école secondaire dans la communauté. Puis, j’ai continué mes études au collégial
, poursuit-elle.
Ses parents étaient tous deux enseignants à l’école primaire Simon Pinecic Ottawa à Manawan.
J’ai songé à devenir enseignante à mon tour, mais je voulais découvrir d’autres domaines qui pouvaient m’aider à évoluer tout d’abord pour ensuite devenir un soutien pour ma communauté
.
Des études de droit
Alors que les Atikamekw étaient en processus de négociation territoriale et d’autonomie gouvernementale et travaillaient sur la première ébauche d’une constitution, Eva Ottawa occupait un poste de recherchiste au
CNA.Lors des tournées de consultations auprès des trois communautés atikamekw, nous avons travaillé notamment avec un avocat
, précise-t-elle.
Celui-ci expliquait aux membres des trois communautés atikamekw les notions rattachées au droit constitutionnel, avec les termes techniques juridiques appropriés.
« Mais ces termes-là, ils n’avaient pas de résonance pour nous. »
Là, je me suis dit qu’il fallait rendre accessible cette information afin d’expliquer les impacts réels de la signature d’un traité ou d’une entente.
De plus, à la table de négociation, c’était possible de sentir la pression des interlocuteurs, dit-elle. C’était vécu comme un rapport de force puisqu’on ne saisissait pas les notions et les concepts.
J’ai décidé d’aller étudier en droit.
Elle a commencé ses études de droit en 1999 et a obtenu son baccalauréat en 2002. Et a obtenu sa maîtrise en droit en 2021.
En 1996, elle avait obtenu un certificat en études autochtones et un baccalauréat en sociologie de l’Université Laval,.
Les Atikamekw, un peuple avant-gardiste avec ses enfants
En 2012, en tant que grande cheffe du Conseil de la Nation Atikamekw (CNA), elle a fait partie d’un programme de recherche international dans le cadre d’une chaire de recherche sur le pluralisme juridique et les peuples autochtones.
Ghislain Otis, le professeur responsable de la chaire a accepté de documenter davantage le
SIAA, à la demande de la grande cheffe.« Nous visions plus l’autonomisation de l’enfant que l’intérêt de l’enfant. »
C’est un mouvement de prise en charge, dit-elle.
Manawan et Wemotaci ont poursuivi la démarche d’affirmation et ont signé une nouvelle entente en 2018 avec le Québec en vertu de l’article 37.5 de la
LPJ.C’est la même démarche qu’a faite Opitciwan pour la loi C-92 au fédéral, précise Eva Ottawa.
Eva Ottawa souhaite que les Atikamekw obtiennent leurs propres institutions de recherches et documentent également leurs propres façons de faire.
J’ai vécu un choc culturel.
Les concepts que l’on utilise dans notre langue atikamekw n’avaient pas leur place en droit. J’ai réfléchi afin de trouver un chemin pour interpréter ces termes-là
, affirme-t-elle.
Cela a été difficile pour elle.
« J’avais de la misère à concevoir comment le droit constitutionnel explique les choses contrairement à notre vision autochtone de voir les choses. »
Eva Ottawa occupe actuellement un poste de professeure à l’Université d’Ottawa et pratique l’enseignement en utilisant la langue française, tout en continuant de réfléchir dans sa langue maternelle.
Le droit coutumier vu par Eva Ottawa
Grâce à ses expériences personnelles du droit coutumier, elle a réussi à mettre de côté un pan de sa culture, pour saisir les notions de souche européenne d’où découlent les droits canadiens et québécois.
J’ai cinq sœurs dont deux sœurs adoptives plus âgées que moi. La nièce à ma mère, soit ma cousine, et la petite sœur de ma mère, soit [également] ma tante
. L’adoption coutumière a toujours été pratiquée dans leur famille.
Ses grands-parents étaient malades. Mon père a été adopté et a vécu avec d’autres membres de la communauté
, raconte-t-elle.
« Le choix de l’enfant occupe une grande place chez les Atikamekw. Cela fait partie de son apprentissage. Il prend des décisions, mais il n’est pas seul. »
Cela fait partie des traits culturels de l’enfant, selon les recherches d’Eva Ottawa.
Le Code civil du Québec parle beaucoup d’autorité parentale alors que chez les Autochtones, c’est l’autorité familiale qui occupe une place essentielle.
« L’enfant qui vit chez ses grands-parents, exemple à l’âge de 7 ans, peut dire : « je veux retourner chez ma mère » et la grand-mère va lui dire : « c’est d’accord, mais sache que je serai là ». Et il part et après une ou deux nuits, il retourne chez sa grand-mère »
Dans le droit coutumier autochtone, cela signifie qu’il fait son apprentissage. Et deux ans plus tard, à l’âge de 9 ans, il peut exprimer à nouveau sa volonté d’aller chez sa mère, et il y retourne. Cet apprentissage important permet à l’enfant de demeurer dans ses repères et d’être à la fois pris en charge tout en étant proche de ses parents biologiques.
Mais pour ce faire, il faut que l’autorité en place reconnaisse le rôle des parents biologiques de l’enfant. Ce que permet autant le SIAA que la LPSAO, contrairement à la LPJ, qui dans certains cas, ne tient pas en compte le lien filial de l’enfant.
Une vigilance qui perdure face aux ententes et traités
Elle demeure prudente face à la loi fédérale C-92 contestée par Québec. Elle applaudit les réussites, mais se rappelle la mainmise des deux paliers du gouvernement quant aux questions relatives à l’autonomie des Atikamekw et surtout leur mainmise sur les questions de l’enfance.
« J’ai précisément étudié le droit pour être à l’affût et saisir les différents traités et ententes et comme les aînés m’ont enseigné, je vois venir. »
Déjà petite j’étais vigilante
, conclut-elle.
Ce sont désormais quatre communautés au Canada qui appliquent leur propre protection à l’enfance par la loi fédérale C-92. La communauté d’Opitciwan est la première au Québec à le faire.