
Novak Djokovic et son cirque
La rocambolesque histoire de Novak Djokovic s’est poursuivie vendredi alors que le visa du numéro un mondial du tennis masculin a été révoqué pour la deuxième fois parce qu’il n’est pas vacciné.
Ce n’est pas tous les jours que l’on tente de chasser d’un pays, et d’écarter d’une compétition majeure, l’un des athlètes les plus dominants d’un sport planétaire. Le seul parallèle qui me vient en tête – et il est ténu – est l’histoire de Muhammad Ali.
Au milieu des années 1960, Ali avait refusé de participer à la guerre du Vietnam en alléguant que sa religion et sa conscience lui interdisaient de le faire. Il avait aussitôt été poursuivi par la justice américaine. Son passeport avait été saisi. Il avait été dépouillé de ses titres de champion du monde et il n’avait pu livrer de combats pendant trois ans. Ce n’est qu’en 1971, sur la base d’une formalité, que la Cour suprême des États-Unis lui avait évité la prison.
Contrairement à la cause défendue par Ali, celle de Djokovic ne semble toutefois pas destinée à le faire aboutir du bon côté de l’Histoire.
Avant même de poser les pieds au pays des kangourous il y a une dizaine de jours, Djokovic y avait déclenché une sérieuse crise politique. Il avait annoncé sur les réseaux sociaux qu’il mettait le cap sur Melbourne et qu’il allait pouvoir défendre son titre aux Internationaux d’Australie sans devoir se soumettre à une quarantaine parce qu’on lui avait accordé une exemption médicale.
C’est le même athlète qui, au début de la pandémie en 2020, avait organisé un tournoi en faisant fi des mesures sanitaires. L’événement était devenu un imposant foyer d’éclosion.
Les habitants de l’État de Victoria, où se trouve Melbourne, n’ont pas digéré la bravade de Djokovic. L’idée de voir un champion de tennis anti-vaccin profiter d’un traitement de faveur a semé la colère. Et pour cause! Les gens de cette région ont été confinés pendant 256 jours depuis le début de la pandémie en 2020, ce qui est probablement un record sur la planète. Comme c’est le cas au Québec, les Australiens doivent présenter un passeport vaccinal pour fréquenter certains lieux publics, et ceux qui ne sont pas vaccinés contre la COVID-19 sont soumis à certaines restrictions.
Avant même que l’avion de Djokovic se pose en Australie, le premier ministre Scott Morrison avait annoncé qu’il n’y aurait de passe-droit pour personne, que les règles étaient claires et que Djokovic allait immédiatement être renvoyé chez lui s’il était incapable de démontrer qu’une condition médicale particulière l’empêchait d’être vacciné.
Et depuis, la tempête n’a jamais cessé.
Au début de la semaine, un juge avait annulé la première expulsion de Djokovic en alléguant que les officiers des services frontaliers avaient vicié les procédures.
Puis en début de soirée vendredi, à environ 60 heures du début du premier tournoi majeur de la saison, le ministre de l’Immigration Alex Hawke a eu recours à son pouvoir discrétionnaire pour révoquer le visa de Djokovic une seconde fois. Le ministre a invoqué le maintien de l’ordre public et de la santé publique pour justifier sa décision.
Djokovic a réagi en interjetant un autre appel. Mais plusieurs experts australiens s’entendent pour dire qu’il n’a à peu près aucune chance de faire infirmer cette décision ministérielle.
Au bout du compte, que Djokovic soit renvoyé ou pas, ses péripéties des derniers jours laissent le monde du tennis avec un immense oeil au beurre noir et de nombreuses questions sans réponse.
Depuis le début de l’année 2022, au lieu de parler du début de la nouvelle saison et des préparatifs de l’un des plus prestigieux tournois de la planète, les médias n’en ont que pour le statut vaccinal de Novak Djokovic. Et au lieu de parler de leur propre carrière, les autres joueurs du circuit se font questionner au sujet des problèmes de leur confrère récalcitrant.
Partout dans le monde, cette histoire suscite énormément d’intérêt. Beaucoup de gens ressentent la même frustration que les Australiens envers leurs concitoyens qui ne sont pas vaccinés. Le sort réservé à Djokovic est aussi une métaphore des conflits qui opposent de nombreux gouvernements à leurs citoyens anti-vaccin.
Cela dit, quelle sera la suite?
Pour les dirigeants du circuit de l’ATP, ce qui vient de se produire en Australie s’avère un sérieux coup de semonce. Ce pays n’est pas le seul qui exige la vaccination de ses visiteurs. Au sein du circuit, certains doivent commencer à se demander combien de fois ce genre de cirque est susceptible de se reproduire, et quel effet cela aura sur les affaires.
Pour éviter les ennuis, l’ATP pourrait-elle aller jusqu’à revoir ses règles et exiger que ses athlètes soient vaccinés? Ce serait un beau dilemme pour Djokovic!
Il vaudra aussi la peine de s’intéresser à certaines décisions commerciales. Comme celles de Lacoste, par exemple, qui est un commanditaire majeur de Djokovic.
Il y a quelques semaines, le prestigieux manufacturier français était fièrement associé à un athlète luttant pour le plus grand nombre de victoires en grand chelem dans l’histoire du tennis (Djokovic, Rafael Nadal et Roger Federer sont à égalité avec 20). Or, voilà qu’à travers le monde, le logo du crocodile apparaît sans cesse dans des articles traitant des croyances anti-vaccin de son porte-parole et de ses démêlés loin des courts.
Jusqu’où ira la patience des commanditaires?
Enfin, côté image et crédibilité, Djokovic ne se remettra jamais complètement des événements des dernières semaines. Déjà que, depuis le début de la pandémie, son étoile avait considérablement pâli.
Voilà un athlète qui a déjà représenté ses pairs au sein du conseil des joueurs de l’ATP et qui, il y a tout juste deux ans, tentait de mettre sur pied une nouvelle association pour améliorer la rémunération des joueurs classés entre le 51e et le 100e rang mondial.
Il faut être rassembleur pour provoquer des changements aussi importants au sein d’un milieu aussi conservateur et individualiste que le tennis. Or, il n’y a probablement plus beaucoup de ses confrères qui voudront s’associer à lui.
Quel triste cirque.