Occupation à Ottawa : des échanges dévoilent des enjeux de sécurité et de communications
Les 516 pages d’échanges entre le Service de police d’Ottawa (SPO), la Ville d’Ottawa et la Commission de la capitale nationale (CCN) de la fin janvier au début février, obtenues en vertu de la Loi sur l’accès à l’information et de la protection des renseignements personnels, révèlent plusieurs préoccupations signalées par l’une ou l’autre des organisations à des moments cruciaux.
Il en ressort des incidents frappants comme des avertissements de risque significatif
pour l’intégrité structurale de la promenade Sir-John-A.-MacDonald (SJAM), la perte de contrôle de la situation dans le parc de la Confédération et un désaccord sur les tactiques et les opérations d’application de la loi. Une personne avec une jambe cassée a même dû attendre deux heures sur la patinoire du canal Rideau à -20 °C avant qu’une ambulance ne puisse se rendre sur les lieux.
Les courriels révèlent également que la CCN
avait l’intention de dégager le parc de ses occupants, mais que la police d’Ottawa a annulé l’opération à la dernière minute.Un expert en sécurité qui a examiné les échanges a conclu qu’il y a eu bris important au niveau de la sécurité
.
Normalement dans ce contexte-là, la section des règlements municipaux de concert avec la CCN et les policiers auraient dû intervenir immédiatement pour éviter cette occupation
, conclut Pierre-Yves Bourduas, sous-commissaire à la Gendarmerie royale du Canada (GRC).
Risque significatif
sur la promenade SJAM
À quelques jours de l’arrivée des premiers camionneurs dans la capitale, la Ville d’Ottawa communique à ses partenaires avoir appris que la promenade SJAM
risque d’être empruntée par le convoi.Les fonctionnaires de la CCN
sonnent rapidement l’alarme : cette artère principale menant au centre-ville d’Ottawa ne pourra pas supporter le poids des véhicules lourds qui s’apprêtent à y circuler.Les ponts spécifiquement ne sont pas conçus selon les normes actuelles et sont capables de supporter environ la moitié du poids du code actuel (32 tonnes contre 65 tonnes)
, écrit un gestionnaire de la CCN dans un courriel au Service de police d’Ottawa le 25 janvier.
« Cela pourrait constituer un danger important si les véhicules roulent lentement et/ou se garent sur les promenades. Les véhicules lourds ne doivent pas être autorisés à emprunter ces promenades. »
Alors que la Ville prévoit faire de son mieux pour rassembler (les manifestants) vers la rue Kent
, le gestionnaire de la CCN demande aux agents de faire passer le message
aux organisateurs du convoi sachant que ceux-ci sont déjà en contact.
Le 27 janvier, la CCNles passages supérieurs et les passages inférieurs pour piétons à risque de la CCN le long de la promenade SJAM et de la promenade Sir-George-Étienne-Cartier
, et accorde l’autorité au SPO et à la Ville de fermer les promenades.
Quelques jours plus tard, la promenade SJAM
est paralysée, entièrement occupée par des camions lourds sur plusieurs kilomètres.Les courriels ne dévoilent pas si les manifestants ont été informés de ces risques.

Dans un courriel envoyé le 30 janvier, un employé de la CCN partage cette vidéo démontrant une file de camions lourds stationnés sur la promenade Sir-John-A.-MacDonald durant le convoi des camionneurs.
Parc de la Confédération : des milliers de personnes
à venir
Le 26 janvier, deux jours avant le début de la manifestation, la CCN
met en place un plan pour le parc de la Confédération situé tout près du Parlement.Deux agents de conservation sont chargés de surveiller, à tour de rôle, la propriété de la CCN
toute la fin de semaine et de fournir trois rapports par jour. On leur dit de ne pas interagir avec les manifestants et de contacter le SPO si l’évènement n’est plus pacifique. Une entreprise de sécurité privée est également embauchée pour effectuer des patrouilles nocturnes dans le parc.Un premier rapport est envoyé le vendredi 28 janvier en début de journée alors que la ville se remplit de manifestants. L’agent de conservation de la CCNtranquille
, mais rapporte une interaction avec un individu. Celui-ci l’informe que ‘des milliers de personnes’ utiliseraient le parc pendant la nuit avec un ingénieur du son venant mettre en place de la musique plus tard dans la journée
et que les manifestants ont l’intention de rester potentiellement pendant des mois si nécessaire
.
Quelques heures plus tard, le parc commence, en effet, à se transformer en point de rencontre pour les manifestants qui y aménagent des installations pour nourrir les foules et y distribuent du carburant.
Dans un autre rapport envoyé plus tard en soirée, l’agent dit avoir vu des feux contrôlés dans des bidons métalliques
, de la musique et des haut-parleurs installés sur un camion à plateau et plusieurs véhicules garés.
Nous avons parlé avec deux agents du SPO […] Ils n’étaient pas préoccupés par les incendies et n’avaient aucune intention d’intervenir
, indique le rapport. Afin de ne pas contrarier davantage le groupe […] et pour notre propre sécurité (nous étions largement en infériorité numérique), nous ne sommes pas intervenus pour les feux
.
L’agent rapporte ensuite des échanges entre les répartiteurs du SPO
et de la CCN concernant de nouveaux feux sous le viaduc de la promenade Reine-Élizabeth pour demander une intervention.Notre répartiteur a expliqué que le SPO nous a appelés pour cela en invoquant des motifs de compétence (c-à-d. que le [parc de la Confédération] n’est pas leur compétence). Cependant, je tiens à souligner que le SPO contrôle actuellement l’accès à la promenade Reine-Élizabeth […] Le passage souterrain fait partie de la promenade.
Quelques heures plus tard, le 29 janvier, la CCN
savait qu’elle ne serait pas en mesure de continuer à protéger ses biens.La CCN appelle à l’aide, le SPO prend une approche sans intervention
En ce jour 2 de la manifestation, un gestionnaire de la CCNJe pense qu’on peut supposer qu’au fur et à mesure que l’après-midi avance, nous perdrons le contrôle de la situation au parc de la Confédération
, écrit-il dans un courriel.
Il ajoute que la police prend une approche sans intervention
.
Au cours des jours suivants, la CCN
demande à plusieurs reprises l’autorisation de retirer les installations des manifestants, de mettre en place des barricades et de fermer l’accès au parc.Tout indique que les efforts dans ce sens n’aboutissent pas assez vite. Dans un courriel envoyé le 2 février, six jours après l’arrivée des manifestants à Ottawa, les responsables de la CCN
demandent par écrit à la Gendarmerie royale du Canada (GRC) de l’aide pour protéger ses biens.Deux jours après cette demande, les manifestants occupent toujours le parc et ses environs. S’inquiétant de les voir s’enraciner à plus long terme, la CCN
réitère sa demande d’aide au SPO pour évacuer le parc.Confusion sur les pouvoirs juridictionnels
Les échanges démontrent une confusion constante sur les mesures à prendre et qui avait compétence pour agir à certains endroits.
Le 4 février à 8 h 11, Peter Sloly, alors chef de police, écrit dans un courriel qu’il a reçu un message texte du pdgtout est prêt pour retirer la cabane à 10 h
et demande de coordonner immédiatement
.
La même journée, une lettre signée par le pdgtoute personne qui refuse de cesser de camper ou d’ériger une tente et de stationner sur la propriété de la CCN
en vertu de la Loi sur l’entrée sans autorisation.
En soirée, le SPO
demande à la CCN d’appliquer tout règlement concernant les gaz comprimés et les produits inflammables, affirmant que le service d’incendie d’Ottawa avait indiqué qu’il ne pouvait pas intervenir sur les terres fédérales.La CCN
répond en fournissant des indications sur l’utilisation légale des produits inflammables, disant à la police que c’est le travail des pompiers d’assurer la sécurité.Les courriels ne dévoilent pas comment le reste de l’opération s’est déroulée. Mais à 2 h 51 le matin du 5 février, un agent du SPO
écrit à la CCN lui disant avoir appris qu’une entreprise d’aménagement paysager avait été embauchée pour retirer toutes les structures et les bonbonnes de propane dans le parc de la Confédération – un plan par la suite déconseillé par les forces de l’ordre.Je n’ai pas suffisamment d’officiers pour m’assurer que cela se fait en toute sécurité et toute action manifeste mènera à la violence
, écrit-il.
« J’ai contacté la ligne d’urgence de la CCN , mais le téléphoniste n’a pas pu me fournir le nom de la personne de garde. »
L’agent poursuit son courriel en soulignant qu’un plan robuste est nécessaire pour procéder à une intervention dans le parc.
Un responsable de la CCNun malentendu
.
Ce n’est qu’environ deux semaines plus tard que les manifestants quittent les rues d’Ottawa et les terres de la CCN
.La CCN et le SPO avares de commentaires
La CCN
, le SPO et la Ville d’Ottawa ont refusé nos demandes d’entrevue.Dans un courriel, la Ville a déclaré qu’elle a travaillé en étroite collaboration
avec le SPO et la CCNpour veiller à ce que les services d’urgence soient maintenus et que la sécurité publique soit préservée
.
Les opérations de la Ville reflétaient un effort coordonné avec le Centre de commandement de la région de la capitale nationale (CCRNC), les décisions et mesures prises étant guidées par les activités policières
, a écrit le directeur général des services de protection et d’urgence d’Ottawa, Kim Ayotte.
La Ville d’Ottawa participe actuellement à plusieurs examens relatifs à la manifestation des camionneurs. De plus amples renseignements seront publiés une fois ces examens terminés.
Dans une courte déclaration par courriel, la CCNle Service de police d’Ottawa était le responsable de l’application de la loi et de la gestion de la circulation – y compris pour les routes de la CCN au centre-ville – pendant la durée du convoi à Ottawa
.
La police d’Ottawa n’a pas voulu répondre à nos questions concernant la coordination des opérations policières, rétorquant qu’une enquête parlementaire est en cours sur cette affaire et, par conséquent, nous ne pouvons pas commenter
.
La GRCla compétence opérationnelle pour les activités d’ordre public qui se déroulent dans la ville d’Ottawa
.
Une enquête publique sur l’utilisation de la loi sur les mesures d’urgence a été lancée le 25 avril. Un comité fédéral examine également les événements entourant le convoi des camionneurs et un certain nombre d’examens judiciaires et internes sont présentement en cours.
Avec la collaboration de David Fraser de CBC