Omicron, vaccination des enfants, phase endémique : des réponses à vos questions | Coronavirus
Quatre spécialistes répondent à certaines d’entre elles :
- Mona Nemer, conseillère scientifique en chef du Canada;
- le Dr Karl Weiss, médecin microbiologiste et infectiologue à l’Hôpital général juif de Montréal
- la Dre Cécile Tremblay, microbiologiste et infectiologue au Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM);
- la Dre Caroline Quach, microbiologiste-infectiologue pédiatrique au Centre hospitalier universitaire (CHU) Sainte-Justine.
Après l’arrivée du premier cas d’Omicron au Québec, en l’intervalle de cinq jours, le virus est passé de 20 % des cas à 80 %. Peut-on mettre uniquement la faute sur les voyageurs? Qu’est-ce qui explique un si haut taux de contamination en peu de temps?
Mona Nemer : Il faut être prudent avec ces chiffres car le Québec, et plusieurs autres provinces, avait fortement diminué la caractérisation par séquençage des échantillons du virus avant l’avènement d’Omicron en Afrique du Sud. Il est fort possible – voire fort à parier – que le variant circulait déjà sous le radar avant l’arrivée officielle du premier voyageur porteur d’Omicron.
L’analyse des eaux usées en Nouvelle-Écosse ainsi qu’en Californie a révélé la présence d’Omicron dans ces juridictions dès novembre 2021.
Plus tôt en 2021, avec l’arrivée du variant Alpha, et ensuite Delta, on effectuait un criblage différentiel par PCR, ce qui est plus rapide et moins coûteux. Cependant, cette méthode a été abandonnée lorsque Delta est devenu dominant, ce qui ne permettait plus de différencier Delta et Omicron.
Les chiffres cités dans la question devraient être vérifiés avec le laboratoire de santé publique du Québec, pour savoir d’où provenaient les échantillons et quand ils avaient été recueillis.
Comment la COVID-19 évolue-t-elle ailleurs dans le monde?
Mona Nemer : Dans tous les pays capables de recueillir et de partager des données fiables, les cas d’infection sont fortement en hausse, alors que se poursuit la propagation du variant Omicron.
Les courbes d’infection sont parfois quelque peu décalées – certains pays touchés plus tôt nous permettent d’anticiper ce qui nous attend – mais les principaux défis sont de plus en plus les mêmes : convaincre les réticents à se faire vacciner, faire face aux débordements des hôpitaux, chercher comment maintenir l’adhésion des populations face aux mesures anti-pandémie.
Pourquoi le Québec, qui a un des meilleurs taux de vaccination, est la province la plus touchée si l’on fait un prorata de la population au pays?
Dr Weiss : Le Québec a un très bon taux de vaccination à l’échelle internationale, mais n’est pas meilleur que les autres provinces canadiennes et même certains États américains. Par ailleurs, le Québec a raté la fenêtre pour administrer la troisième dose rapidement en novembre-décembre 2021 à tous les Québécois de 18 ans et plus.
Même la troisième dose pour les travailleurs de la santé, pour qui la deuxième dose datait de plus de six mois, n’a été incluse que tardivement dans la campagne de vaccination en dépit des études provenant notamment d’Israël, qui démontrait une perte de protection nette.
Le fait que l’on a également été en retard sur la mise en place des traitements avec des anticorps monoclonaux n’a pas aidé pour diminuer les hospitalisations.
Cette pandémie est-elle là pour durer? À combien de temps l’estimez-vous exactement?
Mona Nemer : Compte tenu de sa présence et de sa progression partout dans le monde, SARS-CoV-2 va probablement être parmi nous pour les années à venir. On peut s’attendre à voir émerger d’autres variants, tout comme pour les autres coronavirus responsables d’infections plus bénignes comme le rhume.
Ce qui ne veut pas dire que la pandémie de COVID-19 va durer encore des années. L’état endémique est atteint quand la population a développé assez d’immunité, que ce soit par la vaccination ou l’infection naturelle, et que les infections subséquentes causent une maladie moins sévère et gérable dans la majorité des cas.
La réponse de la population vaccinée à la vague Omicron suggère qu’on approche du seuil endémique, et que la pandémie pourrait s’estomper avant la fin 2022. Les développements des prochains mois apporteront un meilleur éclairage.
A-t-on découvert la source du virus? Est-ce l’humain qui en est la cause?
Mona Nemer : L’origine du virus SARS-CoV-2 est encore incertaine. L’hypothèse la plus plausible étant celle d’un transfert d’un animal à l’humain. Et la possibilité d’un accident du laboratoire de niveau 4 de Wuhan ne signifie pas forcément que le virus ne provenait pas d’un animal.
J’aimerais comprendre comment ce dernier virus fait pour être plus contagieux. Est-ce qu’il demeure plus longtemps porté par les aérosols?
Dre Quach : Le variant Omicron a une excellente affinité pour les récepteurs ACE2 – deux fois plus que la souche ancestrale –, et a un mécanisme d’entrée cellulaire qui diffère du variant Delta. Les virologues pensent que ceci pourrait expliquer une transmissibilité différente, mais aussi une virulence moindre.
De plus, comme ce variant est capable d’échapper à la réponse immunitaire acquise à la fois par l’infection naturelle (pré-Omicron) et à celle conférée par la vaccination (cette protection est restaurée en partie après la dose de rappel), il se transmet, même dans les populations vaccinées. Les complications semblent être moins importantes.
Les études récentes démontrent une réduction d’environ 50 % du risque de complications quand on compare le variant Omicron au variant Delta, pour des populations similaires (âge et comorbidités).
Quelles sont les bonnes pratiques de protection à adopter pour les gens qui sont assignés à travailler dans des zones COVID?
Dre Quach : Un masque N95 bien étanche, une protection oculaire, une jaquette et des gants – avec l’hygiène des mains.
Les scientifiques ne parlent plus que de transmission par aérosols, alors que les premières recherches chinoises avaient démontré la présence de virus sur différentes surfaces. Faut-il encore se méfier des objets tels que les poignées de porte, la monnaie, les carrosses d’épicerie?
Dr Weiss : La transmission par les objets est un facteur très marginal dans la propagation du virus, on ne peut l’exclure à 100 % dans des cas particuliers, mais c’est anecdotique. Le virus se propage par des aérosols et de grosses gouttelettes.
Est-ce que le variant Omicron peut causer la COVID longue? Si oui, peut-il la causer chez les enfants non vaccinés de 5 ans et moins?
Dre Quach : Les enfants ne semblent pas vraiment atteints par la COVID longue – peu importe le variant. Pour les adultes, le recul est un peu court pour qu’on puisse le savoir. La plupart des groupes utilisent comme définition de COVID longue, une persistance des symptômes au-delà de 12 semaines. Le virus ayant été identifié en novembre, nous n’en sommes qu’à deux mois d’évolution.
Quel est l’avantage de faire vacciner les enfants, en tenant en compte qu’ils n’ont que très rarement des complications?
Dre Quach : Les données récentes chez les adolescents démontrent que deux doses de vaccin à ARNm semblent associées avec une diminution du risque de MIS-E (maladie inflammatoire systémique de l’enfant), qui est la complication la plus sévère de la COVID en pédiatrie. De plus, une diminution – même partielle – du risque d’infection chez l’enfant leur permettra de reprendre une vie scolaire normale, et diminuera le risque de transmission communautaire.
Avec une couverture maximale de la population, peut-on envisager une réelle amélioration sur les taux d’hospitalisation? Avec une couverture vaccinale complète, les hospitalisations des non vaccinés seraient à la baisse, mais est-ce que ce serait suffisant pour éviter l’imposition de mesures sanitaires?
Dr Weiss : Il faut distinguer, dans la dynamique de l’épidémiologie, entre les mesures sanitaires et le contrôle d’une vague suite à la vaccination. Une campagne de vaccination intense avec la troisième dose, couplée à un nombre élevé de Québécois qui seront infectés par le variant Omicron, va inévitablement amener une baisse des cas et des hospitalisations.
Cela risque de prendre, à ce moment, de quatre à six semaines avant de commencer à voir une nette amélioration de la situation épidémiologique au Québec. Il faut comprendre que c’est un agrégat de mesures (vaccination, mesures sanitaires, traitements préventifs) qui, mises ensemble, auront un effet populationnel important comme résultat.
Quelles sortes de soins reçoivent les patients hospitalisés pour la COVID?
Dr Weiss : La COVID est une maladie inflammatoire et thrombotique. Les patients sont donc anticoagulés (éclaircir le sang), afin de prévenir la formation de caillots sanguins. On administre aussi des stéroïdes pour diminuer l’inflammation surtout au niveau pulmonaire, et des agents biologiques qui auront un impact sur le système immunitaire dans les cas plus graves (par exemple, des inhibiteurs de l’Interleukine 6).
On utilise également des médicaments avec une action antivirale directe envers le virus (Remdesivir) et l’oxygénation supplémentaire demeure une des clés de la bataille pour ces patients. L’expérience clinique nous a aussi appris à ne plus intuber les patients trop rapidement, et d’utiliser des façons d’administrer de l’oxygène à haute concentration différemment.
Les antibiotiques traditionnels sont parfois ajoutés dans les cas de surinfection bactérienne au niveau pulmonaire.
Pour quelles raisons une personne peut-elle être exemptée de la vaccination? Et est-ce qu’un jour, ces exemptions ne seront plus valides?
Dre Quach : Présentement, les exemptions sont données principalement si une personne a une anaphylaxie à une dose antérieure du vaccin, ou a développé une myocardite/péricardite après une première dose.
Certaines personnes ont également eu des manifestations cliniques inhabituelles qui, une fois évaluées, dans un contexte de risques/bénéfices, sont exemptées par leur médecin traitant et la santé publique. Ces exemptions tomberont lorsqu’un vaccin d’une autre famille que les vaccins à ARNm sera disponible (par exemple, Novavax ou Medicago).
Est-ce qu’une personne qui a déjà contracté la COVID-19 une fois sans être hospitalisée présente un risque de se retrouver à l’hôpital, si elle contracte le virus une seconde fois?
Dr Weiss : En premier lieu, il est important de noter que le fait d’avoir contracter la COVID avec des variants présents dans le passé (souche originale de Wuhan, variants Alpha, Delta et autres) ne confère pas forcément une immunité protectrice face au variant Omicron.
Toutefois, si une personne a fait une infection relativement légère dans le passé, il y a très peu de risque que le variant Omicron provoque une maladie sévère.
Par ailleurs, additionné à la vaccination, le risque de maladie nécessitant une hospitalisation sera quasi nul pour ces patients. La seule variable est un changement drastique dans la santé de base de la personne, qui modifierait profondément son statut immunitaire (cancer nouvellement diagnostiqué, greffe d’organe, etc.)
J’ai entendu dire qu’un vaccin universel contre tous les coronavirus était en cours d’essai. Où en est-on rendu?
Dre Quach : On en est encore aux phases préliminaires de recherche, sans échéancier clair, mais plusieurs groupes y travaillent. On espère tous que les résultats seront plus concluants que les tentatives de trouver un vaccin universel contre l’influenza.
Concernant pilule contre la COVID-19 que l’entreprise pharmaceutique américaine Merck a récemment développée, quand son brevet sera-t-il autorisé par Santé Canada?
Mona Nemer : Santé Canada évalue en ce moment deux pilules contre la COVID-19, soit celle provenant de Merck (Molnupiravir), dont l’efficacité est autour de 30 %, et l’autre de Pfizer (Paxlovid), avec une efficacité supérieure de 70 %.
Les deux médicaments ont des mécanismes d’action très différents. La décision concernant Paxlovid de Pfizer est attendue dans les jours qui viennent. Molnupiravir est en cours d’examen par Santé Canada.
Comment les vaccins ARN messager peuvent-ils nous sortir de la pandémie alors qu’ils ne sont fabriqués que quelques mois après l’apparition des variants?
Mona Nemer : Les vaccins ARN, mais aussi ceux par adénovirus comme AstraZeneca et Johnson & Johnson sont ceux qui peuvent être produits le plus rapidement. Il y a aussi leur spécificité. En effet, par le temps qu’un vaccin a été produit contre le variant bêta, ce variant avait disparu laissant la place à d’autres.
Pour le moment, les vaccins produits contre le domaine spike
de la souche de départ se sont avérés efficaces pour protéger contre les maladies sévères provoquées par tous les variants même si le domaine spike
y était modifié. Il est possible d’avoir des vaccins qui contiennent un cocktail ciblant plusieurs spike
et au moins un producteur de vaccin, Moderna teste en ce moment cette approche (de fait, c’est l’approche utilisée pour le vaccin de la grippe saisonnière).
On peut aussi, en principe, cibler d’autres régions du virus qui changent moins. Avec le temps, on pourra mieux suivre et anticiper l’évolution du virus.
Que sait-on des stratégies mises en place par les pays riches pour aider la vaccination dans les pays pauvres?
Mona Nemer : Pour aider à la vaccination des pays pauvres, l’aide des pays riches a pris deux formes, le don de vaccins, et le financement pour appuyer la logistique à mettre en place. Mais dans certains pays, le manque d’organisation, la désinformation et la résistance des populations constituent les principaux problèmes que, malheureusement, l’envoi massif de vaccins ne va pas régler.
Le Canada s’est engagé à donner l’équivalent d’au moins 200 millions de doses au Mécanisme COVAX d’ici la fin de 2022. En date du 21 décembre 2021, plus de 11,8 millions de doses de vaccins excédentaires avaient été données. Le Canada figure parmi les six principaux pays donateurs de COVAX, avec les États-Unis, l’Union européenne, la France, l’Allemagne et le Japon.
Quels critères permettront de déterminer que la pandémie deviendra endémique?
Mona Nemer : En somme, ce sera déterminé par notre capacité à gérer la COVID-19 comme une maladie parmi d’autres.
Donc, les critères déterminants seront :
- Le niveau d’infection et la susceptibilité de la population à la maladie grave;
- La disponibilité de traitements efficaces (en plus des vaccins);
- La capacité hospitalière à absorber et à traiter les patients COVID en même temps que ceux souffrant d’autres maladies.