
Pride Toronto dénonce l’acquittement d’un homme accusé de discours haineux
Dans sa décision du 10 décembre, le juge Robert Goldstein, de la Cour supérieure de l’Ontario, avait expliqué que la distribution de pamphlets contre l’homosexualité était répréhensible, mais que cela ne constituait pas un crime haineux.
Les tracts étaient dégoûtants, parce qu’ils nous décrivaient comme des pédophiles et disaient que nous allions tous mourir du sida
, se souvient l’avocat Douglas Elliott qui s’est fait connaître au pays sur la constitutionnalité du mariage entre couples de même sexe en 2003.
Me Elliott n’est pas le seul à se dire extrêmement déçu du verdict. Le directeur général de Pride Toronto, Sherwin Modeste, qui a assisté au prononcé du jugement en ligne, parle d’une décision ingrate et déconcertante pour un pays libre de toute discrimination comme le Canada
.
« À notre communauté 2SLGBTQ+, nous partageons aujourd’hui votre colère et votre tristesse, mais restons déterminés à dénoncer et à combattre la haine sous toutes ses formes. »
Sherwin Modeste affirme que le geste de M. Whatcott était un crime haineux prémédité qui avait pour objectif de causer du mal à la communauté, parce que l’Albertain avait été autorisé à participer au défilé de 2016, mais sous de faux prétextes. Son geste était cruel et inacceptable
, poursuit-il.
Un subterfuge qualifié d’odieux
À l’époque, M. Whatcott avait fait croire aux organisateurs de l’événement qu’il voulait promouvoir le sécurisexe sous l’influence du cannabis et que son groupe souhaitait marcher dans la rue en distribuant des informations à ce sujet.
Il s’avère que les dépliants en question ne faisaient nullement mention de l’usage du préservatif et comportaient un message selon lequel les gays allaient tous brûler en enfer pour leurs péchés
.
« Alors qu’on parle de santé mentale et de prévention du suicide, imaginez un jeune réfugié homosexuel qui a fui son pays et qui assiste pour la première fois à un défilé gai mais qui reçoit un tel pamphlet en croyant qu’il s’agit d’un message de prévention? »
Le juge Goldstein avait pourtant écrit que William Whatcott n’était pas coupable d’avoir fait la promotion de la haine en partageant des tracts crus
, dans lesquels il était écrit que l’homosexualité est incompatible avec la nature humaine
.
Il avait néanmoins ajouté que l’individu ne devrait pas crier victoire trop vite ni penser que son acquittement est une approbation de ses vues sur l’homosexualité
.
La police de Toronto avait déposé une accusation criminelle pour promotion délibérée de la haine contre l’individu en 2018 après une enquête de deux ans.
Dans son verdict, dont Radio-Canada a obtenu copie, le juge Goldstein explique qu’il a acquitté Whatcott, parce que la ligne entre la liberté d’expression et le discours haineux est ténue.
Nos valeurs comme société libre et notre tradition juridique centenaire exigent que notre système ne criminalise pas ceux qui ont des opinions impopulaires ou simplement odieuses
, écrit-il.
« Nous adoptons cette approche non pas parce que nous approuvons les opinions de M. Whatcott, mais parce que la liberté d’expression, que nous l’aimions ou non, protège tout le monde dans une société libre et démocratique. »
Le magistrat affirme de toute façon qu’il s’agissait davantage d’un coup d’éclat puérile et insultant
et non d’un crime haineux, parce que M. Whatcott savait ce jour-là à Toronto, que ses pamphlets allaient causer un émoi dans la communauté.
Sherwin Modeste n’en croit rien. M. Whatcott avait pris toutes les mesures nécessaires pour commettre un crime haineux contre notre communauté
, rappelle-t-il.
Un précédent devant les tribunaux
William Whatcott, qui n’a jamais caché sa foi chrétienne, n’en était pas à son premier faux pas avec la justice.
Déjà connu dans les Prairies depuis plus de 20 ans, il a surtout attiré l’attention des médias en 2005, lorsqu’il a envoyé des tracts à caractère religieux contre l’homosexualité en Saskatchewan.
Un résidant avait alors porté plainte devant le Tribunal des droits de la personne dans cette province. William Whatcott avait été condamné à une amende de 17 500 $ pour avoir distribué du matériel haineux.
La cause s’était rendue jusqu’en Cour suprême du Canada, qui avait finalement statué en 2013 que ses dépliants violaient bien le Code des droits de la personne de la Saskatchewan.
Me Elliott affirme que le verdict du juge Goldstein est très contradictoire par rapport à l’arrêt Whatcott de la Cour suprême, qui avait bien tracé la ligne, selon lui, entre le propos haineux et la liberté d’expression religieuse.
La Cour suprême avait bien indiqué que le discours haineux de M. Whatcott contre les gays n’avait rien à voir avec ses propos religieux
, se souvient-il.
Me Elliott s’étonne d’ailleurs de la décision du magistrat, parce que M. Whatcott avait déclaré après sa défaite en Cour suprême qu’il allait continuer à distribuer ses tracts religieux, parce que Dieu lui avait commandé de parler de ces enjeux moraux
.
Il avait même traité la Cour suprême de socialiste, on a donc affaire à quelqu’un qui se moque de nos lois
, dit-il en soulignant que les dépliants de Toronto étaient beaucoup plus affreux
que ceux de Saskatchewan.
Me Elliott explique que le fardeau de la preuve est différent au criminel qu’au civil.
Il est plus important devant une cour de justice, mais les questions de discours haineux sont à mon avis les mêmes dans ce contexte devant les tribunaux criminels et les tribunaux administratifs
, poursuit-il.
Les possibilités d’un appel
Dans un courriel, le ministère du Procureur général de l’Ontario écrit que la Couronne a encore plusieurs jours avant de songer à un appel devant le plus haut tribunal de l’Ontario.
Me Elliott dit espérer que la Couronne interjette appel du verdict et qu’il est même nécessaire qu’il y ait un appel dans cette cause, parce que le jugement prouve, selon lui, que les gays sont encore victimes de persécution au Canada.
Même si M. Whatcott s’est moqué de la Cour suprême du Canada, le juge Goldstein, lui, ne peut pas se moquer du plus haut tribunal au pays
, ajoute-t-il.
Sans appel, le verdict du magistrat envoie, selon l’avocat, le message selon lequel la communauté gaie sera confrontée à une nouvelle vague de haine de la part de ceux qu’il appelle des fanatiques
.
« On ne peut pas laisser tomber la communauté LGBTQ+, mais ce n’est pas seulement un problème pour notre communauté, c’est un problème pour toute la société. la Couronne a donc l’obligation de protéger tous les citoyens. »
Me Elliott craint d’ailleurs que cette décision ne vienne enhardir des personnes de la trempe de William Whatcott. Il est le personnage le plus infâme du Canada et il a beaucoup d’adeptes au pays
, souligne-t-il.
Sherwin Modeste pense qu’un appel est inévitable, parce qu’il est devenu nécessaire d’empêcher M. Whatcott de poursuivre de telles activités diffamatoires.
Le verdict du juge Goldstein envoie le message selon lequel les crimes haineux contre des groupes identifiables sont toujours acceptables au Canada
, conclut-il.