
Sans données fiables sur la COVID-19, le Canada navigue à l’aveugle, selon des experts | Coronavirus
Le Canada a perdu de vue l’étendue réelle de la pandémie de coronavirus. Et cela, en raison de la propagation du variant Omicron, si contagieux qu’il dépasse la capacité du système de santé à tester tous les cas potentiels de contamination.
En raison d’Omicron, la résurgence inégalée de la COVID-19 pousse les provinces à réinstaurer le couvre-feu et à restreindre les rassemblements, fermant bars et salles à manger de restaurants et ramenant l’école en mode virtuel. Le tout dans le but d’atténuer l’impact de la pandémie sur le réseau hospitalier.
Mais, avant même que ces mesures n’exercent leur effet, le nombre de cas de COVID-19 est sur le point de chuter, parce que les autorités sanitaires ont tout simplement cessé le dépistage auprès de la majorité des Canadiens.
Par conséquent, comment mesurer l’impact d’Omicron à travers le pays? Et comment savoir si les restrictions sanitaires sont efficaces, puisque les autorités ne colligent pas de données fiables?
Omicron se répand si rapidement qu’il est devenu à peu près impossible de mesurer l’étendue de la contamination en temps réel
, affirme le Dr David Naylor, qui dirigeait l’enquête fédérale sur l’épidémie de SRAS et qui co préside le Groupe de travail sur l’immunité face à la COVID-19, créé par le gouvernement fédéral.
La capacité d’effectuer des tests PCR est surpassée, dit le Dr Naylor. Les tests de détection rapide des antigènes ne sont pas facilement disponibles. Et les gens qui obtiennent des résultats positifs avec ces tests sont souvent incapables de les faire enregistrer [au dossier], et encore moins de les faire valider.
L’hôpital, un indicateur essentiel
Les experts en santé publique et les épidémiologistes sont d’accord : les hospitalisations et les admissions aux soins intensifs – et non plus le nombre de cas de contamination – sont désormais les indicateurs les plus importants pour mesurer l’impact d’Omicron sur le système de santé, ainsi que la sévérité de la maladie qu’il entraîne.
C’était ce qui devait arriver
, affirme la Dre Allison McGeer, microbiologiste et spécialiste des maladies infectieuses à l’Hôpital Mount Sinai de Toronto, qui était aux premières lignes de l’épidémie de SRAS en 2003.
Nous devions tôt ou tard passer des cas aux hospitalisations pour mesurer notre efficacité.
Les vaccins protègent toujours contre les maladies graves, et ceux qui sont infectés par le variant Omicron risquent moins de se retrouver à l’hôpital que ceux qui avaient été infectés par le variant Delta.
Sauf qu’en raison de sa grande contagiosité, Omicron a le potentiel d’infecter plus de gens. Cela augmente par conséquent le risque de conséquences néfastes sur le système de santé.
Des vaccins toujours efficaces, mais…
Un rapport rendu public récemment par la santé publique de l’Ontario révèle qu’en comparaison avec le variant Delta, Omicron présente un risque d’hospitalisation et de décès de 54 % moins élevé. Mais le fait qu’il infecte beaucoup plus de monde pourrait mener, globalement, à une augmentation du nombre d’hospitalisations.
Omicron a la capacité – plus que les variants l’ayant précédé – de diminuer la protection que procurent les vaccins et les infections antérieures. Les vaccins voient leur efficacité réduite pour ce qui est de contrer l’infection comme telle, mais pas nécessairement quand vient le temps de prévenir les maladies graves.
Une étude en prépublication (c’est-à-dire pas encore révisée par les pairs) d’un institut de recherches cliniques de Toronto, Institute for Clinical Evaluative Sciences (ICES), illustre que deux doses du vaccin ne protègent pas adéquatement contre l’infection à Omicron. Trois doses confèrent une protection à 37 % seulement. Cependant, les vaccins offrent encore une bonne protection contre les hospitalisations liées à la COVID-19.
Alors que les cas se comptent par dizaines de milliers, plusieurs provinces ont restreint l’accès au dépistage et réimposé des restrictions. Et dans les semaines à venir, le véritable nombre de personnes infectées pourrait s’élever à des centaines de milliers par jour, selon des estimations officielles.
Ce sera la pagaille, prédit la Dre McGeer. Nous avons encore attendu trop longtemps.
Le nombre même de cas mettra à l’épreuve non seulement les hôpitaux, mais les unités de soins intensifs, poursuit-elle. Et d’ici deux à trois semaines, le système hospitalier sera à nouveau sous tension.
Le taux de positivité, indicateur précieux
Un autre indicateur utile pour évaluer le fardeau de la COVID-19 au pays est le taux de positivité. Il ne s’agit pas de la mesure du nombre de cas individuels, mais du pourcentage de tests qui s’avèrent positifs.
Sur la scène nationale, le taux de positivité des tests atteint depuis une semaine le niveau impressionnant de 25 %, ce qui signifie qu’un Canadien sur quatre ayant subi un test a obtenu un résultat positif.
Le taux de positivité est probablement la seule chose qui compte
, selon le Dr Alexander Wong, spécialisé dans les maladies infectieuses à l’hôpital général de Régina et professeur associé à l’Université de la Saskatchewan à Saskatoon.
Cela sera crucial pour comprendre où en sont les provinces et les territoires relativement au pic de la pandémie.
Quand ce taux de positivité commencera à descendre, nous serons plus en mesure de savoir si la vague Omicron a atteint son apogée. Mais le Dr Wong rappelle qu’il faut prendre en considération que cet indicateur sera affecté par l’accessibilité au dépistage.
En Saskatchewan, où l’avancée d’Omicron est encore moins prononcée que dans d’autres juridictions au pays, notre capacité à tester est passablement dépassée à ce point, affirme encore le Dr Wong. Et cela empirera dans les jours à venir.
Le Dr Naylor affirme que le taux de positivité est aussi affecté par le comportement de la population : en d’autres termes, le nombre de personnes recevant un diagnostic de COVID-19 et le nombre total de cas sont tous deux compromis par l’accessibilité au dépistage, et par la volonté qu’ont les gens de tenter de se faire tester.
Nous se sommes plus en mesure de tester les gens qui éprouvent des symptômes, dit pour sa part le Dr Dominik Mertz, spécialiste des maladies infectieuses et professeur à l’Université McMaster, à Hamilton. Nous avons cessé de tester ceux qui ont été exposés. Nous avons réduit de manière significative le dépistage en tous genres des personnes asymptomatiques.
Le nombre de cas n’en est que moins significatif.
Chercher le virus dans les égouts
L’analyse des eaux usées est un autre outil pour évaluer jusqu’à quel point la COVID-19 est présente dans la communauté. Cette analyse permet à des régions spécifiques de voir à quel moment le risque d’exposition au virus est élevé, même si elle ne permet pas d’évaluer avec précision le nombre de cas ou la sévérité de la maladie.
Cela montre assez bien les tendances, affirme Sarah Dorner, experte en qualité de l’eau et professeur à Polytechnique Montréal. Donc, s’il y a réellement une hausse, c’est beaucoup lié à une hausse des cas.
Et c’est très important dans le contexte actuel, parce que ce qui se passe dans les eaux usées en ce moment se passe aussi dans votre communauté
, ajoute-t-elle.
Sarah Dorner affirme que ces tendances permettent aux décideurs politiques de savoir quand et où agir, afin d’avertir la population de se protéger contre l’infection.
C’est une méthode peu coûteuse, qui a beaucoup d’impact et de précision, affirme Raywat Deonandan, épidémiologiste et professeur associé à l’Université d’Ottawa.
Cela ne permet pas de montrer qui est porteur du virus ou pas. Mais, à plusieurs égards, dit M. Deonandan, cela donne une meilleure idée de l’impact de la maladie dans la communauté, parce que cela couvre tout le monde, et non seulement ceux qui ont subi un test de dépistage
.
La surveillance des eaux usées a été utilisée sporadiquement dans certains pays pour surveiller les niveaux de COVID-19 durant la pandémie. Mais l’acceptation de cette méthode tarde à se faire, parce qu’elle comporte plus de limitations, en comparaison avec le calcul du nombre de cas.
Ce n’est pas parfait
, affirme Eric Arts, professeur de microbiologie et d’immunologie à l’École Schulich de médecine et de dentisterie de l’Université Western à London, en Ontario. Mais c’est mieux que de dire : « Il y a 13 000 cas aujourd’hui », alors que le nombre réel est probablement trois fois plus élevé.
Un signal très clair
Sarah Dorner affirme que les eaux usées de Montréal ont procuré un signal très clair
qu’Omicron circulait de manière importante au sein de la population en décembre. Et ce, avant que le dépistage ne permette de le déceler.
Plusieurs laboratoires de santé publique au pays testent leurs eaux usées, affirme Mme Dorner, qui espère que les Canadiens pourront eux-mêmes évaluer leur niveau de risque en ayant accès à ces données.
Mais les autorités de santé publique au Canada tardent à rendre publics les résultats d’analyse des eaux usées, même si elles en informent les décideurs.
Sarah Dorner était de l’équipe dirigeante de CentrEau, un projet-pilote d’analyse des eaux usées au Québec. Ce projet-pilote, toutefois, n’a plus de financement depuis le mois dernier.
Nous en sommes à devoir évaluer les risques sur une base personnelle parce que le système de santé n’effectue pas de dépistage ni de traçage, affirme Sarah Dorner. Mais, comment peut-on obtenir sur une base individuelle l’information dont on a besoin pour ce faire?
Selon un texte d’Adam Miller, de CBC